Les premiers siècles de l’Université : apogée et déclin
L’Université, créée en 1431 (bulle papale d’Eugène IV) et 1432 (lettre de confirmation par le roi Charles VII), marque dès ses origines profondément la ville de Poitiers. Dans ses premières années, constituée de 5 facultés, elle reçoit un soutien fort de la commune, qui rémunère les enseignants et paie les travaux des Grandes Écoles (siège actuel de la Société des antiquaires de l’Ouest). C’est au XVIe siècle qu’elle connaît son apogée : son enseignement, surtout en droit, est renommé, et l’absence de cours de droit civil à Paris lui permet d’attirer des étudiants de toute la France, et même de l’Europe entière. Parmi les plus célèbres, on peut citer l’historien de Thou, le jurisconsulte Tiraqueau ou encore le mathématicien Viète.
Mais elle entame un long déclin au XVIIe siècle. A cela, deux raisons principales. D’une part, le pouvoir monarchique est fort : un édit de 1679 cherche à uniformiser l’enseignement du droit dans toute la France, et c’est à partir de la fin du XVIIe siècle que le droit romain et le droit français sont enseignés à Paris, qui concurrence alors Poitiers. D’autre part, après les guerres de religion, l’Église catholique est en cours de reconquête, notamment à Poitiers, très marquée au siècle précédent, à l’Université et ailleurs, par le protestantisme. Les Jésuites, en plein essor, absorbent tous les collèges, et, de fait, la Faculté des Arts, qui forme les jeunes de 8 à 17 ans. La Faculté de Médecine n’enseigne plus : elle ne s’occupe plus que de médecine légale et de l’encadrement des sages-femmes, des chirurgiens et des apothicaires. La Faculté de Théologie garde un certain renom, mais c’est celle de Droit qui est la plus prestigieuse, ce qui explique que René Descartes vienne y terminer ses études.
Au début de la Révolution, l’Université est en bien mauvais état (locaux inadaptés, faibles effectifs, manques de revenus, etc.). Elle disparaît peu à peu : une loi de mars 1793 entraîne la vente de ses biens.
Une nouvelle université au XIXe siècle
La période suivante est marquée par deux phases. Celle qui suit la fondation en 1808 de l’Université impériale par Napoléon Ier, d’abord. Ensuite, le renouvellement du fonctionnement des facultés grâce aux lois de 1880-1896, qui créent 16 universités dont celle de Poitiers et promeuvent la fonction de recherche scientifique de ces établissements ; ces derniers diffusent toutefois toujours le savoir auprès d’un public éclairé et prennent en charge la formation professionnelle des enseignants des différents degrés. Le rôle des autorités universitaires locales est alors très réduit. Le centre de l’Université, jusque-là situé là où se trouve aujourd’hui la SAO (dans l’actuelle rue Paul Guillon), se déplace en face de Notre-Dame la Grande.
L’École de Droit est créée en 1804, mais elle n’obtient locaux et professeurs qu’en 1806, année de la création des « Cours de médecine et de chirurgie ». Elle est transformée en 1808 en Faculté ; la Faculté de Lettres est fondée à la même époque. Ces deux établissements sont étroitement surveillés par le recteur, mais les enseignants ont un très grand prestige. La Faculté de Droit attire du monde, à la différence de celle de Lettres, et la collation des grades, notamment le baccalauréat, occupe beaucoup de temps.
Sous la Restauration, une chaire de Droit commercial est fondée et les « Cours de médecine et de chirurgie » sont transformés en une École secondaire de Médecine (1820), qui devient en 1841 l’École préparatoire de Médecine et de Pharmacie. Les locaux où se trouve la Faculté de Droit, qui accueillent aussi la bibliothèque de la ville, la société d’agriculture et un cabinet d’histoire naturelle, sont trop petits dès 1833 et les années qui suivent voient l’attribution de fonctions supplémentaires encore à ces espaces. Il faut attendre 1845 pour que la Faculté de Lettres soit à nouveau créée, et 1854 pour que Poitiers obtienne une Faculté des Sciences, la politique étant de créer des facultés sans plan cohérent. Le baccalauréat occupe toujours beaucoup les enseignants et les étudiants sont très peu nombreux, sauf en Droit. La surveillance du recteur est très importante et ce n’est que plusieurs années après le début de la IIIe république que les choses changent. Les universités se reconstituent peu à peu, notamment au moyen de services communs, comme la Bibliothèque universitaire, mise en place en 1878 seulement, grâce aux efforts importants fournis par des enseignants sur leurs propres deniers : la bibliothèque des professeurs et celle de la ville ne suffisaient pas. Il faut toutefois noter que, malgré les contraintes politiques, les facultés font preuve de dynamisme et créent de nouvelles chaires et des cours complémentaires.
Dans les années 1876-1890, l’État investit beaucoup d’argent dans l’enseignement supérieur, mais la Ville de Poitiers peine à suivre le mouvement : elle a dépensé de fortes sommes dans la construction du nouvel hôtel de ville et il faudrait exproprier de nombreuses personnes pour agrandir l’Université, à l’étroit dans le carré placé à proximité de Notre-Dame. Vers 1880, une partie de l’opinion considère qu’il ne faut laisser des universités que dans les villes dont le pouvoir économique est suffisant pour les entretenir ; or les finances de Poitiers sont basses… Finalement, après de nombreuses péripéties, les travaux sont lancés en 1892, financés par l’État et de la Ville : ils sont vite achevés ; une nouvelle Faculté des Sciences est inaugurée en 1894, tandis que les travaux concernent peu la Faculté de Droit. L’aménagement de la bibliothèque, livrée en 1902, permet d’affecter davantage d’espaces aux enseignements juridiques. Dès 1907, il faut trouver de la place supplémentaire pour les magasins de la bibliothèque et, en 1918, sa situation est jugée catastrophique (place et effectifs) ; un extension est encore faite dans les années 20.
Les différentes facultés et écoles
Au milieu du XIXe siècle, l’École de Médecine s’installe dans des locaux qui lui sont propres. Construits en 1857-1858, sur un terrain acheté par des professeurs, ils sont situés à côté de l’Hôtel-Dieu, où elle conserve des espaces également. Dans ces nouveaux lieux se trouvent une classe de chimie, la salle des professeurs, une salle des collections et une bibliothèque. Les bâtiments sont encore agrandis en 1885.
Jusqu’en 1873, la Faculté des Sciences propose des cours de vulgarisation et manque cruellement de documentation, ce à quoi les enseignants remédient sur leurs deniers. Puis son personnel s’étoffe, certains étudiants obtiennent l’agrégation et des salles de travaux pratiques sont construites. En 1874, une grande salle de manipulation est bâtie au-dessus du cabinet de physique. De nouveaux bâtiments (instituts de physique, de chimie et de sciences naturelles) sont achevés en 1894 et des laboratoires spéciaux sont construits dans les années qui suivent ; la création des universités en 1896 facilite le développement de la Faculté des Sciences. En 1910, le domaine de Mauroc, à Saint-Benoît, est confié à l’Université, qui le garde jusqu’en 1924 : il abrite une station de biologie végétale.
A sa création en 1845, la Faculté de Lettres a des locaux exigus. Jusque dans les années 1880, elle a peu d’étudiants et s’occupe avant tout de la collation des grades. Ce n’est que grâce à la reconstruction des Sciences qu’elle peut vraiment s’agrandir, avec un amphithéâtre et trois salles de conférences. Elle se constitue des collections de moulages, d’eaux-fortes, de cartes de géographie, de facsimilés de paléographie et de reproductions d’œuvres d’art antiques. Vers 1900, elle constate malheureusement que la Sorbonne lui fait (déjà ?) concurrence pour les thèses : les étudiants préfèrent dans ses disciplines étudier et soutenir dans l’université parisienne. En 1918, la Faculté de Lettres obtient ses propres locaux (qui sont inaugurés en 1921) : elle s’installe dans l’Hôtel Fumé (les bâtiments de la rue des Carmélites sont acquis en 1933), ce qui permet au Droit de retrouver ses locaux, partagés par solidarité avec les autres facultés au début du XIXe siècle.
Étudiantes et étudiants
La première étudiante s’inscrit au tout début du XXe siècle seulement ; mais, dans les années 1920, l’effectif féminin représente déjà un quart du total. Ce n’est toutefois qu’en 1943 que la première femme est nommée professeur : il s’agit de la mathématicienne Marie-Louise Dubreuil-Jacotin. La part des étudiants étrangers est par ailleurs notable. Les effectifs généraux restent longtemps faibles : ils atteignent 275 en 1887-1888, dépassent 1000 en 1907, mais chutent pendant la Première Guerre mondiale, avant d’atteindre de nouveau le seuil de 1000 en 1921 ; on compte 2672 étudiants en 1938 (pour une ville d’environ 44 000 habitants).
Peu à peu, on prend conscience des besoins des étudiants, dont les profils sociologiques se diversifient. L’Association générale des étudiants de Poitiers est créée en 1889 : elle publie des périodiques et fonde un restaurant et un foyer. Le Comité régional des œuvres universitaires permet la co-gestion des œuvres sociales. Des cités universitaires (Roche d’argent dès 1948 et rue de la cathédrale), des gymnases (rue des Carmélites) et des stades (la Madeleine et Montierneuf) sont peu à peu créés. Des lieux spécifiquement réservés aux jeunes femmes sont également bâtis. Les distractions estudiantines contribuent déjà à l’animation de la ville…
L’augmentation du nombre d’étudiants après la Seconde Guerre mondiale, la création de l’École nationale supérieure de mécanique et d’aérotechnique (ENSMA ; 1948) et du Centre d’études supérieures de civilisation médiévale (CESCM ; 1953), les changements dans les méthodes d’enseignement et la multiplication des matières entraînent la construction d’un campus (les terrains sont acquis en 1958). C’est le début d’une nouvelle ère…
Anne-Sophie Traineau-Durozoy
Pour aller plus loin…
- Archives et documentation produites par l’Université
Cette liste en en cours d’élaboration. Un projet de bibliothèque virtuelle, mettant en ligne toute cette documentation, est actuellement à l’étude.
Archives étudiantes conservées au Fonds ancien du SCD de l’Université de Poitiers
Bulletin de la Faculté des lettres de Poitiers (1883-1893)
Annuaire de l’Université de Poitiers (1896-1925)
- Des ouvrages sur l’histoire de l’Université de Poitiers
Université de Poitiers : livret.- Poitiers : Société Française d’imprimerie et de librairie, 1900 : livret publié à l’occasion de l’exposition universelle de 1900, présentant une bibliographie des ouvrages publiés de 1889 à 1900
La faculté des Lettres de Poitiers, Esquisse historique / Prosper Boissonnade.- Poitiers : Impr. du Courrier de la Vienne, 1922
Histoire de l’Université de Poitiers, passé et présent (1432-1932) / sous la direction de Prosper Boissonnade.- Poitiers : Imprimerie moderne, Nicolas, Renault & cie, 1932
L’Université de Poitiers (1431-1981) : exposition du 550e anniversaire : Poitiers, [Musée Sainte-Croix, 12 octobre 1981-10 janvier 1982] / [organisée par l’] Université de Poitiers [et le] Musée de la Ville de Poitiers et de la Société des antiquaires de l’Ouest.- Poitiers : Musée Sainte-Croix, 1981
1854-2004 : histoire résumée des 150 ans de la faculté des sciences de l’Université de Poitiers.- [s.l.] : [s.n.], [2005] : brochure distribuée le 14 janvier 2005 lors de la commémoration des 150 ans de la Faculté (avec un fac-simile du procès verbal de la séance du 8 octobre 1854)
L’école de médecine et de pharmacie de Poitiers : de 1806 à la renaissance de la faculté (1968) / Roger Gil.- Poitiers : Éditions de l’université de Poitiers, 2008
Dictionnaire de l’Université de Poitiers / ouvrage réalisé sous la direction de Joël Dalançon.- Poitiers : Geste éditions, 2012