Du 1er au 30 avril 2025, l'Arca Noë, un ouvrage d'Athanasius Kircher conservé au Service des collections remarquables, est exposé dans le Hall de La Ruche, dans le cadre de "Un mois / une œuvre" et de l'exposition des 50 ans du service (du 31 mars au 25 avril).
À l'occasion des 50 ans du service, chaque mois de 2025, sera ainsi présenté un "trésor", une œuvre emblématique des collections patrimoniales.

Athanasius Kircher, « Le maître de cent arts »

Portrait d’Athanasius Kircher (Österreichische Nationalbibliothek)

Athanasius Kircher (1602-1680) entre dans la Compagnie de Jésus à l’âge de 16 ans. La première partie de sa vie est consacrée à l’enseignement. Le Collège romain (Collège des jésuites de Rome), où il est professeur de mathématiques, de physique et de langues orientales depuis 1635, le dispense de cette charge d’enseignement et lui octroie une bourse à vie. Ainsi, à partir de 1646, il peut se consacrer exclusivement à ses recherches et à la rédaction de ses ouvrages. Le savant, d’une insatiable curiosité, s’intéresse à presque tous les domaines du savoir de son temps, les mathématiques, l’astronomie, le magnétisme, la géologie, l’optique, l’acoustique, la musique, les langues orientales, l’égyptologie, l’histoire des religions, la zoologie. Le polygraphe à l’érudition prodigieuse a publié une quarantaine de traités.

 

Un traité sur l’arche de Noé

Frontispice (Universitätsbibliothek Freiburg)

Parmi ceux-ci, Turris Babel (1679) et Arca Noë (1675), deux œuvres tardives formant un diptyque, tentent de retracer la préhistoire de l’humanité. La seconde est un grand traité entièrement consacré au Déluge et à l’arche de Noé. En cette fin de XVIIe siècle, alors que la lecture du récit biblique résiste de moins en moins au rationalisme scientifique, Kircher veut apporter des réponses argumentées à toutes les questions que pose l’épisode biblique. L’érudit veut entre autres démontrer que toute l’humanité descend du patriarche et de sa famille (seuls humains autorisés à bord de l’arche et ainsi épargnés par le châtiment divin) et que l’arche a pu contenir tous les animaux.

Animaux hybrides (HathiTrust)

Les animaux de l’arche

Sur ce dernier point Kircher avance que les insectes furent évincés de l’embarcation puisque selon lui leur multiplication s’effectuait par génération spontanée (à partir de la matière). Toujours selon sa zoologie les animaux hybrides ne furent pas non plus embarqués car ils sont issus du croisement de deux espèces. Dans cette catégorie Kircher inclut notamment, à tort, la girafe, que l’on pensait être le fruit de l’accouplement d’une panthère et d’un chameau. Les dizaines de bois gravés représentant les animaux montrent l’importance accordée à leur sujet. Dans cet inventaire, aux côtés des animaux réels, figurent la licorne, la sirène et le griffon, auxquels croyait Kircher, avec certaines réserves. N’avait-il pas dans son fabuleux cabinet de curiosité (le Museum Kircherianum), célèbre dans toute l’Europe, le bout de la queue et les os d’une sirène ?

 

L’arche en images

L’énorme succès commercial des traités de Kircher devait beaucoup à leurs abondantes et admirables illustrations. Les images explicatives étaient aussi là pour frapper l’imagination et inviter à la glorification et à l’amour de Dieu par la contemplation des merveilles de la création. L’Arca Noë en offre un bel exemple avec ses doubles planches gravées sur cuivre illustrant la construction de l’arche, l’entrée des animaux, leur distribution à l’intérieur du vaisseau (une vue en coupe composée de trois planches assemblées mesurant un mètre sur 45 cm) et bien sûr le Déluge.

Plan en coupe des trois étages de l’arche (HathiTrust)

 

Bien qu’admiré de son vivant et considéré comme l’un des plus brillants esprits, Athanasius Kircher fut écarté du monde scientifique dès avant même sa mort. Sa conception du monde et ses croyances devenaient de plus en plus difficiles à concilier avec les découvertes de la science moderne.
Grâce au don du Trésor de la Bibliothèque diocésaine, en 2024, l’ouvrage est venu compléter les dix titres du savant déjà présents dans les collections du Service des collections remarquables, parmi lesquels ne se trouve malheureusement pas la Turris Babel.

Sandrine Painsard

 

Bibliographie :

GODWIN Joscelyn, Athanasius Kircher : le théâtre du monde, Paris, Imprimerie nationale, 2009

GODWIN, Joscelyn, Athanasius Kircher : un homme de la Renaissance à la quête du savoir perdu, [Paris], Jean-Jacques Pauvert, 1980

FABRE Pierre Antoine, « L’Arche de Kircher. Le dernier voyage de l’Arche de Noé dans le monde moderne »,  dans Revue de l’histoire des religions, 2, 2022

TOTARO Giunia, L’autobiographie d’Athanasius Kircher : l’écriture d’un jésuite entre vérité et invention au seuil de l’oeuvre : introduction et traduction française et italienne, Berlin, P. Lang, 2009

FINDLEN Paula éd., Athanasius Kircher : the last man who knew everything, New York, London, Routledge, 2004

  • Vos BU sur les réseaux sociaux !