Du 1er au 28 février 2022, dans le cadre du Livre ancien du mois, l’édition de 1620 de L’isole piu famose del mondo, d’ordinaire conservée au Fonds ancien, est exposée à la Bibliothèque Michel Foucault.

LES INSULAIRES
L’isole piu famose del mondo (« Les îles les plus fameuses du monde ») relève de la tradition de l’insulaire (isolario en italien, insularium en latin).
Livres ayant les îles pour objet, les insulaires réunissaient cartes et descriptions. Ces dernières portaient aussi bien sur la géographie, le climat que sur l’histoire, les monuments, la mythologie, les légendes, la botanique, la zoologie, les mœurs des habitants, leurs croyances.
Apparus au début du XVe siècle, ces isolari circulèrent d’abord sous forme de manuscrits. Ne traitant au départ que des îles grecques, ils étendirent leur champ d’investigation au reste de la Méditerranée, puis aux océans, au fur et à mesure des explorations. Venise fut particulièrement prolifique en matière d’insulaires.
Si les auteurs pouvaient exploiter leur expérience personnelle, ils usaient surtout de sources antiques (y compris poétiques) et de travaux plus récents, voire contemporains, éventuellement inédits. Ils s’inspiraient également des isolari antérieurs, sans nécessairement l’avouer.
Ces ouvrages attirèrent les érudits, les curieux, les amateurs de beaux livres, de singularités, les voyageurs réels ou de cabinet. Les spécialistes ne s’accordent pas sur leur utilité nautique. Certains leur nient tout usage de ce genre ; d’autres distinguent les premiers, aux cartes plus précises, techniques, des suivants.
L’ISOLE PIU FAMOSE DEL MONDO
Padouans d’origine, le libraire Simone Galignani (15..-1579) et le graveur Girolamo Porro (1520-1604) s’associèrent et s’installèrent dans la cité des Doges afin de faire imprimer des ouvrages illustrés. L’isole piu famose del mondo parut ainsi à Venise en 1572. Dans l’épître dédicatoire de la deuxième édition (1576), Porro révèle que c’est lui qui sollicita le polygraphe Tommaso Porcacchi (1530?-1585) pour le texte.
L’isole piu famose fut le premier insulaire à peupler ses mers de monstres et à offrir des cartes gravées sur cuivre (celles de ses prédécesseurs étaient gravées sur bois ou dessinées à la main). De format paysage, les cartes de cet isolario occupaient toute la largeur de la composition typographique. Elles passèrent de 30 en 1572 à 47 en 1576, puis 48 en 1604, ce nombre demeurant inchangé jusqu’à la dernière édition (1686). La gravure supplémentaire insérée en 1604 n’était pas de Porro.
L’édition de 1576, la dernière du vivant de Porcacchi, subit un vaste remaniement, avec réorganisation interne et ajouts d’îles. Elle se vit en particulier accrue de deux cartes et chapitres en relation avec la bataille de Lépante. Le 7 octobre 1571, les navires de la Sainte-Ligue, alliance entre le pape Pie V, les Espagnols et les Vénitiens, triomphèrent des Turcs. La première édition était d’ailleurs dédiée à don Juan d’Autriche (1545-1578), le commandant de cette flotte.
L’EXEMPLAIRE DU FONDS ANCIEN
L’édition de 1620 conservée au Fonds ancien est au moins la sixième, preuve du succès de l’œuvre, qui a parfois été qualifiée de « best-seller ».
Cet exemplaire a été acheté en 1871 par Jacques Marie Joseph Baillès (1798-1873), une mention autographe en atteste. Nommé évêque de Luçon en 1845, Baillès fut contraint de remettre sa démission à Pie IX en 1856. Il resta alors à Rome, où il enrichit sa bibliothèque, léguée à sa mort à son ancien évêché. Après la séparation de l’Église et de l’État (1905), les collections de l’évêché de Luçon furent partiellement transférées en 1914 à l’Université de Poitiers.

POUR ALLER PLUS LOIN
GERSTENBERG Annette, Thomaso Porcacchis « L’isole piu famose del mondo » : zur Text- und Wortgeschichte der Geographie im Cinquecento (mit Teiledition), Tübingen, M. Niemeyer, 2004 (Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie ; 326)
LANCIONI Tarcisio, Viaggio tra gli isolarî [ressource en ligne], n° 2 de Almanacco del bibliofilo, Milan, Ed. Rovello, 1992
LASTRAIOLI Chiara, « ″Un monde en forme d’île″ : espace géographique et espace imaginaire dans l’isolario de Tommaso Porcacchi », dans Alain Godard et Marie-Françoise Piéjus (éd.), Espaces, histoire et imaginaire dans la culture italienne de la Renaissance, Paris, Université Paris III Sorbonne Nouvelle, 2006, p. [43]-67
LEDUC François-Xavier et PELLETIER Monique, « Les insulaires (isolarii) : les îles décrites et illustrées », dans Monique Pelletier (dir.), Couleurs de la Terre : des mappemondes aux images satellitales [exposition présentée dans les galeries Mansart et Mazarine de la Bibliothèque nationale de France, du 8 octobre 1998 au 10 janvier 1999], Paris, Seuil, Bibliothèque nationale de France, 1998, p. 56-61
LESTRINGANT Frank, Bribes d’îles : la littérature en archipel de Benedetto Bordone à Nicolas Bouvier, Paris, Classiques Garnier, 2019 (Géographies du monde ; 26)
LESTRINGANT Frank, « Insulaires », dans Cartes et figures de la terre : [exposition, Centre Georges Pompidou, Paris, 24 mai-17 novembre 1980], [organisée par le] Centre de création industrielle, [avec la collaboration de la Bibliothèque publique d’information, du Musée national d’art moderne et du Service audiovisuel du Centre Georges Pompidou, commissaire général Giulio Macchi], Paris, Centre Georges Pompidou, Centre de création industrielle, 1980, p. 470-475
LESTRINGANT Frank, Le livre des îles : atlas et récits insulaires de la Genèse à Jules Verne, Genèse, Droz, Classiques Garnier, 2002 (Les seuils de la modernité ; 7) (Cahiers d’humanisme et Renaissance ; 64)
STOURAITI Anastasia, « Talk, script and print : the making of island books in early modern Venice » [ressource en ligne], dans Historical research : the bulletin of the Institute of Historical Research, 2013-05, vol. 86 (232), p. 207-229
TOLIAS Georges, « L’insulaire : cosmographie maritime et expansion européenne à la Renaissance » [ressource électronique], dans L’âge d’or des cartes marines : quand l’Europe découvrait le monde : [exposition, Bibliothèque nationale de France, Paris, du 23 octobre 2012 au 27 janvier 2013], exposition virtuelle ou catalogue d’exposition, sous la dir. de Catherine Hofmann, Hélène Richard, Emmanuelle Vagnon, Paris, Seuil, Bibliothèque nationale de France, 2012, p. [90]-97
TOLIAS Georges, « Isolarii, fifteenth to seventeenth century » [ressource en ligne], dans David Woodward (ed.), The history of cartography, Vol. 3, Cartography in the European Renaissance, Chicago, University of Chicago Press, 2007, p. 263-284
VAN DEZER Chet A., Sea monsters on Medieval and Renaissance maps, Londres, The Bristish Library, 2013, p. 106-107

Stéphanie Daude
Informations complémentaires
Toutes les illustrations sont extraites de : L’isole piu famose del mondo. Venise : Héritiers de Simone Galignani, 1590. ETH-Bibliothek Zürich, Rar 6082, https://doi.org/10.3931/e-rara-15483 / Public Domain Mark