Du 1er au 30 avril 2021, dans le cadre du Livre ancien du mois, trois volumes du Nouveau voyage d’Italie de Maximilien Misson sont exposés à la bibliothèque Michel Foucault.

Nouveau voyage d’Italie / Maximilien Misson.- 1re partie.- La Haye : Hendrik van Bulderen, 1691 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, Up 28-01)

Maximilien Misson (1650 ?-1722)

Fils de pasteur, Maximilien Misson étudia à Genève afin de suivre les traces paternelles. Il ne fut pas, comme on l’a longtemps cru, conseiller au Parlement de Paris.

Après la révocation de l’Édit de Nantes (1685), il quitta la France pour l’Angleterre. Il devint le précepteur de Charles Butler (1671-1758), futur comte, puis duc d’Arran. Il lui dédia le Nouveau voyage d’Italie (1691), fruit de leurs pérégrinations en 1687 et 1688.

Maximilien Misson publia aussi le Théâtre sacré des Cévennes (1707). Il y défend des prophètes huguenots d’origine cévenole, réfugiés en Angleterre et annonçant l’imminence de l’Apocalypse.

Il est en partie responsable de l’ouvrage intitulé Voyage et avantures de Francois Leguat, & de ses compagnons, en deux isles desertes des Indes Orientales (1708). Leguat s’était embarqué en 1690 pour La Réunion, où on lui avait fait miroiter la fondation d’une colonie protestante. Misson modifia son texte.

Un énième voyage en Italie ?

Le déplacement de Charles Butler relève de la tradition du Grand Tour. Dès le XVIe siècle, les jeunes nobles, ou du moins les jeunes gens aisés, prirent l’habitude de voyager à travers l’Europe, généralement accompagnés d’un précepteur, afin de parfaire leur éducation.

Dans ce cadre, l’Italie était une destination particulièrement prisée. Pour rappel, elle ne constituait pas alors un État unifié ; Misson et son élève durent franchir des péages. Ils s’attardèrent assez classiquement à Rome, Venise, Naples (Pompéi et Herculanum n’avaient pas été découverts) et Florence. Le nord du pays était à l’époque plutôt négligé des voyageurs et l’extrême sud, la Sicile totalement ignorés.

Il convient de noter qu’en dépit de son titre, le livre de Misson traite pour un tiers environ de contrées autres que l’Italie : les Pays-Bas, l’Allemagne, le Tyrol, visités à l’aller ; la Savoie, la Suisse, l’Alsace, l’Allemagne et la Belgique, parcourues au retour.

Nouveau voyage d’Italie / Maximilien Misson.- Tome 2.- 4e éd..- La Haye : Hendrick Van Bulderen, 1702 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, 70455-02)

Le voyage par lettres

Ce en quoi Misson innove, c’est en proposant un récit de voyage épistolaire. Il prétend y avoir été entraîné malgré lui. Il songeait à rédiger un journal, usage répandu lors du Grand Tour, mais, dit-il dans l’avertissement, s’étant engagé à communiquer régulièrement ses observations à des amis, « ce journal s’est insensiblement fait en forme de lettres ». Il reconnaît seulement avoir rajouté ou retranché des éléments en vue de la publication, elle aussi imposée. Que Misson ait réellement expédié des lettres ou non, celles imprimées passent de 38 en 1691 à 41 en 1698 (3e édition).

Misson s’érige en héraut de la forme épistolaire adaptée au récit de voyage. Il oppose le « style concis », « libre et familier » des lettres aux descriptions, à visée exhaustive et s’appuyant sur les textes antérieurs. Omissions, insistances, coq-à-l’âne, digressions, anecdotes, tout est permis pour ne point ennuyer le lecteur. La diversité est de mise. Misson affirme que, contrairement à certains de ses prédécesseurs, il ne s’est limité ni aux vestiges de l’Antiquité, ni à la peinture et l’architecture, ni aux bibliothèques et aux cabinets de curiosités, ni aux églises et aux reliques. Il s’est « informé de tout » et le sujet eût-il été rebattu cent fois, comme l’Italie, la façon de l’envisager, le regard du voyageur le rendent différent.

Une œuvre polémique

Dès l’avertissement, Misson met en garde contre les discours dithyrambiques sur l’Italie. La cause des excès généralement constatés serait les Italiens, enclins selon lui à la vantardise. Les étrangers demeurant auprès d’eux seraient en quelque sorte contaminés, ce dont témoigneraient leurs écrits. Aux Italiens, Misson reproche également, entre autres, d’enfermer leurs femmes.

C’est toutefois en matière religieuse que la critique est la plus virulente. Le Nouveau voyage d’Italie a souvent été perçu comme un anti-pèlerinage. Dans une conférence donnée en 2001, Frank Lestringant, spécialiste de la littérature de la Renaissance, des récits de voyage, qualifie l’œuvre de Misson de « machine de guerre dirigée contre le fanatisme et plus précisément contre l’Église catholique ». L’ouvrage fut d’ailleurs mis à l’Index (liste des livres interdits par l’Église catholique).

Nouveau voyage d’Italie / Maximilien Misson.- 1re partie.- La Haye : Hendrick Van Bulderen, 1691 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, Up 28-01)

En tant que protestant, Maximilien Misson ne vouait évidemment aucun culte aux saints ou aux reliques. Il n’a cependant pas manqué de se rendre à Lorette, haut lieu de pèlerinage consacré à la Vierge Marie. Pour chaque localité traversée, il égrène minutieusement les miracles qui lui sont attachés, les reliques conservées, doutant sérieusement des premiers, se moquant des secondes. L’avis au lecteur ajouté en 1702 parle de « fatras d’os & de haillons sacrez » et même d’« ordures ». Les Italiens sont présentés comme un peuple superstitieux, prêt à toutes les violences, à « démembrer » un prédicateur qu’ils jugent saint, pour s’approprier des reliques. Misson voit dans le culte de ces saints et de ces reliques une perpétuation du polythéisme antique, thèse déjà avancée par Luther et Calvin.

Les Italiens ne sont d’après Misson pas plus instruits de la religion réformée que les Topinamboux (ou Tupinambas), Indiens anthropophages d’Amazonie, rendus célèbres par un autre voyageur protestant, Jean de Léry, avec son Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil (1578). Misson en impute la faute aux « gens à froc, qui […] se font un mérite de la défigurer, & de la rendre odieuse ». Les personnes rencontrées ont du mal à croire qu’il soit chrétien, baptisé. L’écrivain reconnaît néanmoins que les non catholiques bénéficient en Italie d’une relative liberté religieuse, du moment qu’ils en usent discrètement.

Un succès éditorial

Le Nouveau voyage d’Italie parut en 1691. Il fut souvent réédité en français, parfois sous le simple titre Voyage d’Italie, mais toujours sous des presses hollandaises : en 1694, 1698, 1702, 1717, 1722, 1731 et 1743. En 1698, il passa de 2 à 3 volumes, Misson ne cessant d’enrichir son texte. Il rallongea le Mémoire pour les voyageurs, placé en fin et délivrant des conseils d’ordre pratique en matière de transport, logement, argent. Il lui adjoignit une liste des palais de Rome, des églises, des foires, et divers traités, sur le Vésuve, sur la tarentule, sur une célèbre épitaphe de Bologne, etc. En 1722, l’œuvre de Misson atteignit les 4 volumes grâce à Joseph Addison (1672-1719) et ses Remarques sur divers endroits d’Italie. Pour servir [de supplément] au Voyage de Mr. Misson. Le Nouveau voyage d’Italie fut traduit en anglais en 1695 (et réédité en 1699, 1714 et 1739), en allemand en 1701 (réédition en 1713), en néerlandais en 1724.

Véritable best-seller, il fit office de guide pour une foule de voyageurs, protestants ou non, au moins jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. En usèrent notamment Montesquieu en 1728-1729, le père de Goethe en 1740 et, en 1739-1740, Charles de Brosses, dont les Lettres d’Italie furent publiées à titre posthume en l’an VII (1798/1799). Stendhal recommandait la lecture de Misson.

Nouveau voyage d’Italie / Maximilien Misson.- Tome 1.- 4e éd..- La Haye : Hendrick Van Bulderen, 1702 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, 70455-01)

Aux XVIIIe et XIXe siècles, le Nouveau voyage d’Italie fut copié, son texte comme ses planches, sans que la source fût nécessairement citée. Ses gravures ornent ainsi la Description historique de l’Italie, en forme de dictionnaire (1776).

Les exemplaires du Fonds ancien

Preuve de ce succès éditorial, le Fonds ancien conserve 6 volumes du Nouveau voyage d’Italie de Misson, relevant de 4 éditions distinctes. Tous ces exemplaires proviennent d’institutions ecclésiastiques et intégrèrent les collections de l’université de Poitiers suite à la séparation de l’Église et de l’État (1905).

Une seule édition est complète, celle de 1702, en 3 volumes. Jacques Marie Joseph Baillès, évêque de Luçon de 1846 à 1856, l’acheta en 1872, lors de son exil à Rome. À son décès, il la légua à son ancien évêché.

Les 3 autres volumes appartenaient au Grand séminaire de Poitiers. Il s’agit du tome 4 de l’édition de 1722, du tome 3 de l’édition de 1717 et de la première partie de l’édition de 1691. Celle-ci porte des ex-libris de la main de deux personnes ayant vécu à Mirebeau, dans la Vienne.

Stéphanie Daude

Pour aller plus loin

BELLANGER Yvonne, « Le récit de voyage par lettres dans le Nouveau voyage d’Italie de Misson », dans B. BRAY et C. STROSETZKI (dir.), Art de la lettre, art de la conversation à l’époque classique en France : actes du colloque de Wolfenbüttel, octobre 1991, Paris, Klincksieck, 1995 (Actes et colloques ; 46), p. 305-323

BERTRAND Gilles, Le Grand Tour revisité : pour une archéologie du tourisme : le voyage des Français en Italie, milieu XVIIIe-début XIXe siècle [librement accessible en ligne], Rome, Publications de l’École française de Rome, 2013, avec itinéraire de Misson en Italie

BERTRAND Gilles, « La place du voyage dans les sociétés européennes (XVIe-XVIIIe siècle) » [librement accessible en ligne], dans Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 2014, 121-3 , p. 7-26.

BOUTIER Jean, « Le Grand Tour : une pratique d’éducation des noblesses européennes (XVIe-XVIIIe siècles) », dans Le voyage à l’époque moderne, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2004 (Bulletin – Association des historiens modernistes des universités, vol. 27)

BRIZAY François, Touristes du Grand Siècle : le voyage d’Italie au XVIIe siècle, Paris, Belin, 2006 (Histoire & Société)

CARILE Paolo, « Nicolas Audebert et Maximilien Misson à Bologne, relecture de deux « archétypes » du voyage en Italie aux XVIe et XVIIe siècles », dans Huguenots sans frontières : voyage et écriture à la Renaissance et à l’Âge classique, Paris, Honoré Champion, 2001 (Les géographies du Monde ; 3), p. 245-274

CARILE Paolo, Nicolas Audebert, Michel de Montaigne, Maximilien Misson : trois perceptions de l’Italie entre Renaissance et Baroque [conférence librement accessible en ligne], Paris, Centre de Recherche sur la Littérature des Voyages, 2009 (Misson abordé à 1h01)

CASTIGLIONE MINISCHETTI Vito, DOTOLI Giovanni, MUSNIK Roger, Le voyage français en Italie des origines au XVIIIe siècle : bibliographie analytique, Fasano, Schena, Paris, Éditions Lanore, 2006 (Bibliothèque du voyage français en Italie ; Vol. I) (Biblioteca della ricerca, Bibliographica ; 8), p. 151-153

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LESTRINGANT Frank, « Maximilien Misson, témoin du prophétisme cévenol », dans Lumière des Martyrs : essai sur le martyre au siècle des Réformes, Paris, Classiques Garnier, 2015 ou Paris, Honoré Champion, 2004 (Études et essais sur la Renaissance ; 53), p. 231-244

LESTRINGANT Frank, Un protestant en Italie : François-Maximilien Misson [conférence librement accessible en ligne], Paris, Centre de Recherche sur la Littérature des Voyages, 2001

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ROSSETTI Sergio, Rome : a bibliography from the invention of printing through 1899. III, H-Z, Florence, L. S. Olschki, 2004 (Biblioteca di bibliografia italiana ; 180), n° 7092-7100, p. 132-134

WOLFF Étienne (éd.), « Voyage d’Italie » de Maximilien Misson (1691), Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2019 (Histoires) : texte abrégé et annoté de l’édition de 1722, avec orthographe et ponctuations modernisées

Nouveau voyage d’Italie / Maximilien Misson.- Tome 1.- 4e éd..- La Haye : Hendrick Van Bulderen, 1702 (Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien, 70455-01)
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