Jusqu'au 30 septembre, à l'occasion des Journées du patrimoine cette année consacrées au Patrimoine architectural, est exposée, à la Ruche, la Descrittione di tutti i Paesi Bassi, altrimenti detti Germania inferiore, de Lodovico Guicciardini (Anvers : Christophe Plantin, 1588).
Descrittione di tutti i Paesi Bassi, altrimenti detti Germania inferiore, de Lodovico Guicciardini (Anvers : Christophe Plantin, 1588) Bibliothèques de l’Université de Poitiers, XVIg 1536

« Il gentilhuomo fiorentino »

Lodovico Guicciardini (1521-1589), ou Louis Guichardin, descendant d’une famille de marchands italiens originaire de Florence, se distingua par sa passion pour la littérature et l’écriture. En 1541, il quitta Florence pour s’installer à Anvers, où il continua à exercer comme marchand de vins et de pastel pour le compte de son père. Guicciardini s’intégra rapidement à la communauté italienne et européenne locale, où il mena une double carrière de marchand et d’homme de lettres.

Anvers, en pleine Renaissance économique et culturelle, accueillait plusieurs figures littéraires, ce qui incita le jeune Lodovico à commencer une carrière d’écrivain et d’érudit, qui lui assura des revenus importants. Neveu du célèbre historien florentin Francesco Guicciardini, il eut pour premier projet de devenir l’éditeur de l’Histoire d’Italie de son oncle. Mais, malgré l’acquisition d’une copie de cet ouvrage, il n’eut jamais l’autorisation de le publier.

Guicciardini développa à Anvers un intérêt profond pour la géographie, l’urbanisme, l’économie et la société des Pays-Bas. Sa vie professionnelle l’amena à fréquenter les milieux intellectuels, artistiques et politiques, et à nouer des liens avec des cartographes, graveurs et éditeurs, ce qui favorisa la publication de ses œuvres.

Guicciardini mourut en 1589 à Anvers, où il a laissé une empreinte durable en tant que chroniqueur précis et observateur engagé des réalités de son temps. Sa biographie illustre bien le profil de l’intellectuel cosmopolite de la Renaissance, capable de lier la tradition humaniste italienne à une pratique concrète et moderne dans un contexte international.

Descrittione di tutti i Paesi Bassi, altrimenti detti Germania inferiore, de Lodovico Guicciardini (Anvers : Christophe Plantin, 1588) Bibliothèques de l’Université de Poitiers, XVIg 1536

Un traité sur les Pays-Bas ou l’Allemagne inférieure

Publié pour la première fois en 1567, cet ouvrage constitue l’un des témoignages les plus précieux sur les Pays-Bas du XVIe siècle et leurs dix-sept provinces sous domination espagnole. Le texte offre une description détaillée des villes, des institutions, des coutumes, de l’économie et du commerce des différentes régions. Guicciardini y dresse également des portraits vivants de la population, évoquant les mœurs locales, les langues parlées et les dynamiques politiques. L’intérêt de cette œuvre réside dans sa riche iconographie : plusieurs éditions, notamment celle de 1582, sont accompagnées de cartes, de vues urbaines gravées, de façades et perspectives, qui donnent une vision précieuse de l’espace urbain de l’époque.

Grâce à son érudition, à sa langue élégante et à son sens de l’observation, Guicciardini parvient à conjuguer rigueur documentaire et finesse littéraire. Loin de se contenter d’une simple énumération de lieux, Guicciardini propose une véritable prospection dans les dix-sept provinces. Son travail est une vaste compilation mêlant observations personnelles, recherches historiques, descriptions topographiques et économiques. L’ouvrage commence par une introduction générale sur la géographie physique de la région, sa position stratégique en Europe, ses fleuves, son climat, ses productions agricoles et ses ressources naturelles. Il poursuit d’une manière plus détaillée sur chaque province et ses principales villes. Pour chacune, Guicciardini aborde l’histoire, les institutions, les mœurs des habitants, les particularités linguistiques, les foires, les activités commerciales, artisanales et maritimes, les universités, les églises, les bâtiments publics et l’organisation urbaine. À travers cette approche, il dresse un tableau complexe et nuancé d’un territoire profondément hétérogène, à la croisée des influences latines, germaniques et nordiques.

L’ouvrage peut être placé dans la continuité de la tradition de la Renaissance qui cherchait à transmettre un savoir encyclopédique enrichi par l’apport de l’expérience personnelle directe. La Descrizione a connu un large succès : elle a été traduite en français, en latin, en allemand et en néerlandais. Elle reste aujourd’hui une source incontournable pour les historiens de l’art, les géographes et les spécialistes de la Renaissance, ainsi que pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire urbaine, sociale et culturelle des anciens Pays-Bas au XVIe siècle.

Descrittione di tutti i Paesi Bassi, altrimenti detti Germania inferiore, de Lodovico Guicciardini (Anvers : Christophe Plantin, 1588) Bibliothèques de l’Université de Poitiers, XVIg 1536

Représenter la ville à travers son architecture

Les éditions les plus célèbres, notamment celle de 1588, sont enrichies de magnifiques illustrations gravées sur cuivre, représentant les principales villes des Pays-Bas à l’époque (Bruxelles, Louvain, Anvers, Brunswick, Helmond, etc.). Ces vues sont réalisées en perspective cavalière, aussi appelée « vue à vol d’oiseau », un style de représentation dans lequel la ville est montrée en trois dimensions, comme observée d’en haut, avec une grande fidélité aux détails architecturaux et leur environnement. Les illustrations accompagnent le texte et apportent une plus-value à la fois esthétique, documentaire et symbolique : elles montrent la puissance des villes, développées entre leurs remparts et protégées par leurs robustes forteresses, la richesse de leur patrimoine et leur organisation spatiale. Les gravures sont attribuées à des artistes travaillant dans la tradition des premiers atlas modernes Theatrum orbis terrarum et Civitates orbis terrarum, comme Crispijn Van Den Broeck (1524?-1591) et Abraham de Bruyn (1540?-1587). Un lien étroit est établi entre le texte, l’image et le pouvoir urbain. Le recours à la technique de la vue oblique s’avère nécessaire pour pouvoir distinguer la structure du plan urbain et les volumes des bâtiments.

Quelques édifices majestueux occupent une place centrale dans les représentations. Les façades des bâtiments comme l’hôtel de ville, la bourse ou la cathédrale Notre-Dame à Anvers, sont dessinées de manière à exhiber chaque élément architectural avec une attention particulière aux détails. On y distingue les fenêtres à meneaux, les pilastres, les corniches, les frontons et les moulures, qui témoignent d’une richesse ornementale propre à la Renaissance et dont la symétrie et l’harmonie des proportions sont les principales caractéristiques. Afin de mettre en valeur les façades et accentuer leurs profondeurs, la perspective cavalière a été employée pour créer un jeu de volume, d’ombre et de lumière. La richesse architecturale atteste de la puissance civique et économique des villes, en présentant des bâtiments publics comme des symboles de prestige et d’identité.

Meriem Ben Ammar

Stagiaire au Service des collections remarquables en 2025

 

Pour aller plus loin

– BESSE, Jean-Marc. Les grandeurs de la Terre : Aspects du savoir géographique à la Renaissance. Lyon : ENS Éditions, 2003. Sociétés, espaces, temps.
– KOEMAN, Cornelis. « Commercial Cartography and Map Production in the Low Countries, 1500 – ca. 1672 ». Dans WOODWARD, David (éd.). The History of Cartography. Vol. 3 Cartography in the European Renaissance. Chicago : University of Chicago Press, 2007.
– MICHAUD, Louis Gabriel (ed.). Biographie universelle ancienne et moderne. T. 19. Paris : L. G. Michaud, 1817. pp. 72-73.
– VAN DER KROGT, Peter. « Mapping the towns of Europe: The European towns in Braun & Hogenberg’s Town Atlas, 1572-1617 ». Belgeo. Revue belge de géographie. 31 décembre 2008. N° 3 4. pp. 371-398. DOI 10.4000/belgeo.11877.
– VERWEY, Herman de la Fontaine. « The History of Guicciardini’s Description of the Low Countries ». Quaerendo. 1982. n°12. pp. 22-51.

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