
« Le Pline napolitain »
Surnommé « le Pline napolitain » selon la Biographie universelle de Michaud, Giuseppe Saverio Poli (1746-1825) naquit à Molfetta, dans les Pouilles. Il étudia la théologie, les langues anciennes, les sciences et la médecine. Il exerça brièvement en tant que médecin, avant d’être nommé, en 1774, professeur d’histoire et de géographie à l’Académie royale militaire de Naples.
Entre 1775 et 1777, il fut chargé de récolter pour celle-ci des instruments de physique à travers l’Europe. Il rencontra alors de nombreux scientifiques, dont l’anatomiste et collectionneur William Hunter (1718-1783), qui l’incita à s’intéresser aux mollusques méditerranéens, négligés.
En 1780, il devint enseignant en physique expérimentale à l’école médicale de l’hôpital des Incurables de Naples et en 1783 précepteur du fils de Ferdinand IV (1751-1825), roi de Naples.
Dès 1772, Poli commença à publier. Il fit paraître de nombreux ouvrages, notamment en physique, météorologie, géologie et zoologie. Il s’essaya également à la poésie.

Le père de la malacologie
Avec son œuvre sur les testacés (animaux à coquilles) marins et d’eau douce des Deux-Siciles (royaume de Naples et royaume de Sicile), Giuseppe Saverio Poli est généralement considéré comme le fondateur de la malacologie, l’étude des mollusques. Précédemment, les travaux étaient surtout basés sur les coquilles.
Aidé par l’anatomiste Michele Troja (1747-1827), Poli se pencha sur leurs tissus mous. Il établit une classification d’après ceux-ci. Il examina aussi la reproduction, le développement et la digestion des mollusques, mesura la force de leurs muscles, suivit la circulation de leur sang, qu’il analysa chimiquement, comme les coquilles. Il découvrit plusieurs espèces de mollusques.
Sa contribution dans ce domaine influença des scientifiques tels Georges Cuvier (1769-1832), Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829) ou Charles Darwin (1809-1882). Afin de donner une plus large diffusion à son ouvrage, Poli le rédigea d’ailleurs en latin (ses autres textes étaient en langue vernaculaire), avec une explication abrégée des planches en italien et en français.
Une œuvre monumentale
En 1791 et 1795, les deux premiers tomes des Testacea sortirent des presses de l’Imprimerie royale de Parme, alors dirigée par le célèbre Giambattista Bodoni (1740-1813). Un troisième tome en deux parties fut publié en 1826 et 1827 d’après les manuscrits de Poli, décédé, et avec des ajouts de son disciple, Stefano delle Chiaje (1794-1860). Le Service des collections remarquables ne le conserve malheureusement pas.
De très grand format, les trois tomes des Testacea comportaient 114 planches : 57 schémas et 57 illustrations de même composition, mais nuancées, imprimées en noir et blanc ou, comme pour l’exemplaire de l’Université de Poitiers, colorées à la main. Un portrait de Poli et des en-têtes ou culs-de-lampe, certains figurant des paysages napolitains et des scènes de pêche, ont également été gravés sur cuivre. Pas loin de 30 artistes furent mobilisés pour ce magnifique ouvrage, sans doute extrêmement coûteux.
Celui-ci semble assez rare. Trois autres établissements, dont le Muséum d’histoire naturelle de Paris, l’abritent selon le Sudoc (catalogue collectif des bibliothèques de l’Enseignement supérieur). Seules la Bibliothèque nationale de France et la Bibliothèque municipale de Lyon apparaissent en plus au CCFR (Catalogue collectif de France).

Mollusques vivants, morts et factices
Vu la proximité de la mer, Giuseppe Saverio Poli pouvait aisément observer nombre de mollusques in situ. Il comptait aussi sur les pêcheurs, qui approvisionnaient ses viviers. Il possédait une collection très réputée, entre autres pour ses objets provenant du capitaine Cook (1728-1779), son abondance de coquillages et… ses cires malacologiques.

Poli était en effet le seul à avoir réalisé ou fait réaliser des moulages sur les parties molles des mollusques. Les cires obtenues étaient peintes à la main et éventuellement insérées dans de véritables coquilles. Elles n’avaient pas l’inconvénient des chairs conservées dans l’alcool, qui se déformaient et se décoloraient. Elles auraient servi de modèles pour les planches des Testacea. Elles disparurent avec d’autres pièces précieuses entre 1799 et 1815, en l’absence de Poli, qui suivit à deux reprises la famille royale de Naples en Sicile, où elle s’était réfugiée pour échapper aux troupes napoléoniennes.
En 2007, 20 mollusques en cire ayant appartenu au savant ont été redécouverts au Muséum d’histoire naturelle de Paris. Cette institution les avait achetés au tout début du 19e siècle à la famille du collectionneur Jean Hermann (1738-1800), qui se serait, selon sa correspondance, endetté afin de les acquérir auprès d’un voyageur allemand en 1800.
Pour aller plus loin
BORRELLI Antonio, « Poli, Giuseppe Saverio », dans Dizionario biografico degli italiani, vol. 84, Rome, Istituto della Enciclopedia italiana, 2005
CHIAPPERINI Rocco, « Giuseppe Saverio Poli, his hometown… and surroundings », dans SOCIETA ITALIANA DEGLI STORICI DELLA FISICA E DELL’ASTRONOMIA, Atti del XXXVI Convegno annuale, Pavie, Pavia University Press, 2017, p. 61-70
ESPOSITO Salvatore
- « Enlightenment in the Kingdom of Naples: the legacy of Giuseppe Saverio Poli through archive documents », dans SOCIETA ITALIANA DEGLI STORICI DELLA FISICA E DELL’ASTRONOMIA, Atti del XXXVI Convegno annuale, Pavie, Pavia University Press, 2017, p. 33-52
- « Darwin and the others: the reception of Poli’s Testacea outside Italy and other recent discoveries about the Molfetta scientist », dans SOCIETA ITALIANA DEGLI STORICI DELLA FISICA E DELL’ASTRONOMIA, Atti del XXXVII Convegno annuale, Pavie, Pavia University Press, 2019, p. 43-55
- « Giuseppe Saverio Poli e lo sviluppo della scienza tra la fine del Settecento e l’inizio dell’Ottocento », dans Memorie e Rendiconti di Chimica, Fisica, Matematica e Scienze Naturali, Rome, Accademia nazionale delle scienze detta dei XL, 2020, n° 138, vol. I, fasc. 2, p. 125-139
RUSKE Dorothée, Le dialogue des objets : fabrique et circulation des savoirs naturalistes : le cas des collections de Jean Hermann (1738-1800), Thèse de doctorat, Histoire moderne, Strasbourg, 2018
TËMKIN Ilya
- « At the dawn of malacology: the salient and silent oeuvre of Giuseppe Saverio Poli », ResearchGate, 2014, originellement paru dans Natural histories: extraordinary rare book selections from the American Museum of natural history Library, NewYork, Sterling, 2012, p. 68–71
- « The art and science of Testacea utriusque Siciliæ », ResearchGate, 2015, originellement paru dans Atti del Bicentenario : Museo Zoologico : 1813-2013, Napoli, Centro musei delle scienze naturali e fisiche, 2015, p. 147-168

TORINO Marielva, « The dismantling of the Giuseppe Saverio Poli collections and the damnatio memoriae of his scientific heir », dans SOCIETA ITALIANA DEGLI STORICI DELLA FISICA E DELL’ASTRONOMIA, Atti del XXXVI Convegno annuale, Pavie, Pavia University Press, 2017, p. 81-86
TOSCANO Maria
- Gli archivi del mondo: antiquaria, storia naturale e collezionismo nel secondo Settecento, Firenze, Edifir, 2009 (Le voci del museo ; 21)
- « Il Museo Poliano e l’interesse per la zoologia a Napoli tra Sette e Ottocento », dans Atti del Bicentenario : Museo Zoologico : 1813-2013, Napoli, Centro musei delle scienze naturali e fisiche, 2015, p. 169-185
- « Giuseppe Saverio Poli as a collector between Natural History and antiquarianism », dans SOCIETA ITALIANA DEGLI STORICI DELLA FISICA E DELL’ASTRONOMIA, Atti del XXXVI Convegno annuale, Pavie, Pavia University Press, 2017, p. 87-103
Stéphanie Daude