En juin 2022, dans le cadre du Livre ancien du mois, l’ouvrage Descriptions pittoresques de jardins du goût le plus moderne (Leipzig, 1802), d’ordinaire conservé au Fonds ancien, a été exposé à la bibliothèque Sciences campus.
L’auteur
Christian Ludwig Stieglitz (1756-1836) était un architecte et juriste allemand. Il écrivit de nombreux ouvrages sur l’histoire antique et sur l’ancienne architecture germanique, qui contribuèrent à la redécouverte de l’art gothique. Il publia en 1798 un traité sur les jardins, Gemälde von Gärten in neuem Geschmack, dont l’originalité stylistique réside dans l’emploi d’une prose poétique.
Dans l’avertissement de sa traduction parue en 1802 (sous le titre Descriptions pittoresques de jardins du goût le plus moderne), on peut ainsi lire :
Pour ôter à la description de ces jardins le ton de sécheresse et monotonie, dans lequel il auroit été facile de tomber, et rendre nos tableaux plus animés, nous avons pris, dans notre prose, les crayons du poëte.
L’importation d’un nouveau modèle esthétique

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’esthétique des jardins réguliers, aux allées symétriques, aux formes géométriques, fut progressivement abandonnée. En effet, à ces jardins dits « à la française » se substituèrent des jardins dits « à l’anglaise », dans lesquels la nature était moins contrariée et dont les allées sinueuses et les formes irrégulières tentaient d’imiter les paysages naturels.
Cette nouvelle mode des jardins pittoresques se propagea rapidement dans toute l’Europe à partir de l’Angleterre, par les voyages au long cours et par les nombreux débats esthétiques relayés par les hommes de lettres, écrivains, poètes, essayistes et philosophes.
Le jardin français, jusqu’ici modèle prédominant, lassait une bonne partie de l’élite intellectuelle. En France, Saint-Simon écrivit par exemple au sujet de Versailles : « Les jardins dont la magnificence étonne mais dont le plus léger usage rebute, sont d’aussi mauvais goût (…) on admire et on fuit. » Tout aussi exaspéré par la « dictature du cordeau », Jean-Jacques Rousseau s’insurgea contre les architectes rémunérés pour « gâter la nature ».
Bien que ces débats esthétiques aient eu lieu un peu plus tôt en Allemagne, l’évolution de ce mouvement resta somme toute relativement similaire à ce que l’on put observer en France.
La fin du XVIIIe siècle compta ainsi une abondante littérature sur l’art des jardins paysagers. En France, la Théorie des jardins, ou L’art des jardins de la nature (1802), de l’architecte Jean-Marie Morel, en est un des exemples les plus caractéristiques. On peut également citer l’Essai sur les jardins (1774), de l’artiste et homme de lettres Claude-Henri Watelet, qui parut en allemand en 1776.
Ainsi, le « goût moderne » pencha pour le jardin paysager et le style pittoresque.
L’art nouveau des jardins paysagers

L’ouvrage présenté ici s’inscrit pleinement dans le mouvement des jardins paysagers et se place par ailleurs dans une réflexion plus vaste menée en Allemagne à partir de la fin du XVIIIe siècle autour du jardin paysager dit « naturel » ou « pittoresque ».
Plaidoyer pour les jardins qui imitent des paysages naturels, il est aussi une violente critique du caractère artificiel, monotone et contraint des jardins à la française. L’auteur y célèbre, via les références littéraires et artistiques, une nouvelle alliance de la Nature et de l’Art. Le jardin est un art à part entière au même titre que la poésie, la musique, la peinture ou la sculpture.
L’auteur s’adresse donc « aux amis du nouvel art ». Son but est de « conduire le lecteur à travers ces jardins comme dans une promenade », tout en recouvrant une dimension didactique, et de « faire entrer dans le tableau des descriptions, les règles générales qu’on doit employer à la création d’un jardin. »
Composition de l’ouvrage
La première partie du livre de Stieglitz est une ode en prose qui semble être directement inspirée du poème didactique de 1782 de Jacques Delille, Les jardins, ou L’art d’embellir les paysages, qui récolta, bien au-delà des frontières françaises, un vif succès. La deuxième partie présente deux descriptions de jardins ; la troisième contient des réflexions sur les ouvrages de construction dans les jardins. Le texte est accompagné de 28 illustrations dessinées par Karl August Benjamin Siegel et gravées sur cuivre par Johann Adolf Darnstedt, Schumann et Gottlieb Wilhelm Hüllmann. Elles figurent des plans, des perspectives, mais également différents aménagements, ponts, constructions architecturées, gloriettes (pavillons) et mobilier de jardin.
L’exemplaire du Fonds ancien
Il est à noter que l’exemplaire conservé au Fonds ancien affiche un ex-libris manuscrit d’un certain « Darnaud ». Cet ancien possesseur s’était d’ailleurs bien approprié l’ouvrage, comme en témoignent les nombreuses annotations manuscrites qu’il contient, permettant de relier le texte décrivant des parties du jardin aux illustrations qui lui correspondent.
Élise Gervais
Pour aller plus loin
- Esthétique du jardin paysager allemand : XVIIIe-XIXe siècle / Stéphanie de Courtois, Marie-Ange Maillet, Eryck de Rubercy.- Paris : Klincksieck, 2018
- Jardins d’Allemagne : transferts, théories, imaginaires / Hildegard Haberl, Anne-Marie Pailhès.- Paris : Honoré Champion, 2014
- Art et nature en Grande-Bretagne : de l’harmonie classique au pittoresque du premier romantisme : 17e – 18e siècles / [textes présentés par] Marie-Madeleine Martinet.- Paris : Aubier-Montaigne, 1980